En 1995, Mathilde Monnier créait avec L'Atelier en pièces, une chorégraphie superbe et bouleversante. Explorant le monde de l'enfermement, elle entraînait ses danseurs dans un travail unique et fascinant. Elle faisait de même avec les spectateurs, les plaçant à même le plateau, en pleine lumière, enfermés eux aussi dans cet univers blanc rappelant le monde psychiatrique. Avec " Arrêtez, arrêtons, arrête ! ", elle prolonge ce travail tout en l'approfondissant. Si L'Atelier faisait apparaître des signes extérieurs de la folie, on se plonge ici dans l'enfermement intérieur. Au milieu de toutes ces choses non-dites qui bouillonnent au plus profond de nous et qui font qu'un jour, un être normal et sans histoires craque soudainement, sombre dans la prostration, s'extrait du monde qui l'entoure, ou bascule dans la folie meurtrière. Tous dans la même galère Fidèle au dispositif de L'Atelier, Mathilde Monnier place à nouveau les spectateurs tout autour de l'espace de jeu, brisant ainsi la distance habituelle avec les danseurs. Ceux-ci sont parfois à quelques centimètres de nous, le visage en sueur, le corps tendu. Elle retrouve aussi le comédien Mathias Jung, interprétant le texte écrit spécialement pour l'occasion par Christine Angot. Un texte dit, craché, chantonné, éructé comme une musique insaisissable traversée d'éclairs aveuglants de clarté. Pas d'histoire, pas de message mais pourtant, comme le soulignait l'écrivain, un début et une fin. La première phrase dit : "Là, normalement j'ai envie de crier" et la dernière conclut : "... mais la souffrance de ne pas être entendu". Entre les deux, tout un maelström qui se bouscule dans nos têtes. Grandes interrogations et petits soucis. Autant de questions, de constats, de sensations qui s'entrechoquent dans le discours de Mathias Jung et dans le corps des huit danseurs. Des corps qui vont et viennent, sortent du champ, réapparaissent à côté de nous, bondissent de manière apparemment désordonnée, cherchent leur équilibre. Les danseurs semblent vouloir sortir de leur corps, le faire exploser. Des gestes secrets, enfouis Pour l'écriture, Christine Angot s'est inspirée notamment du parcours de Nijinski, danseur génial, sombrant petit à petit dans la folie. Elle a aussi beaucoup écouté autour d'elle : les interrogations des danseurs et de la chorégraphe, les angoisses de la création. Il y a des gestes qui rappellent la folie : une tête que l'on frappe contre les tubes en acier dressés sur le plateau, un corps qui se met à trembler, pleure et se tord, une course désordonnée. Mais ces gestes sont surtout des gestes secrets. De ceux que l'on vit seul, à l'abri des regards... Si, dans un premier temps Arrêtez, arrêtons, arrête ! paraît plus sombre, plus désordonné, plus "n'importe quoi" que L'Atelier en pièces, on s'aperçoit vite qu'il y a là une maîtrise totale de l'espace, des corps, de la voix, du texte. Et surtout, pour peu qu'on accepte de faire le voyage qui nous est proposé, on se découvre rapidement très proche de ces comportements, de ces questionnements, de ces besoins qui, de prime abord, nous semblaient si lointains.
Jean-Marie WYNANTS
Le Soir
25 Juin 1997