monnier-angot, leur pas de deux

L'une est blonde et l'autre pas. L'une est brune et l'autre pas. L'une s'enveloppe de silence. L'autre s'étourdit de parole. Elles se ressemblent par la musique. Un lyrisme du corps, pour Mathilde Monnier, un lyrisme du souffle pour Christine Angot. Une retenue, un effarouchement de tout l'être pour Mathilde Monnier, la solaire, si libre sur les plateaux, si timide dans la vie obligée de la chorégraphe : parler de son art, de son travail. Une véhémence, une agressivité bien tempérée de toute sa personne, pour Christine Angot, la nocturne, si étonnante lorsque, lectrice, elle s'empare de ses textes, si offensive lorsqu'elle doit défendre par la parole son art, son travail.
La blonde Mathilde Monnier, la brune Christine Angot ont en partage l'âge. Elles sont nées en 1959. Elles ont en commun, Montpellier. La vie à Montpellier les a rapprochées. Elles ont, l'une comme l'autre, une fille. Et ces enfants ont le même âge. Elles sont nées en 1992. Elles pourraient chanter, comme la blonde Deneuve et la plus foncée – c'était un châtain cuivré – Dorléac, «Nous sommes deux soeurs jumelles»... Mais ce n'est pas leur propos.
Ces deux filles tout en muscles longs et sans gras – Angot a un physique de danseuse, Monnier une douceur qui fait oublier l'athlète en elle – se ressemblent par quelque chose de plus profond. Question de génération, déjà. Nées en 1959, elles n'ont pas mené le combat du féminisme, qui est celui de leurs aînées. Grandes soeurs et mères. C'est sans doute ce qui explique leur innocence face à certains discours. Leur merveilleuse disponibilité à la découverte de portes sans doute entrouvertes avant qu'elles aient poussé leur premier vagissement. Mais n'est-ce pas cela même, la belle succession des générations...
On n'étonnera personne en dévoilant que, alors qu'on les rencontre toutes deux, ensemble, l'une prend la direction des opérations, pour ne pas dire qu'elle tendrait à monopoliser la parole, et c'est Christine Angot, l'autre creuse son thorax comme si elle entrait en elle-même, s'exprime avec prudence, précaution infinie, et c'est Mathilde Monnier. Mais c'est un pacte tacite, entre elles. Des amies véritables.

Retour à Montpellier à la fin des années 90. Elles font remonter leur première rencontre à 1994. Deux artistes, deux territoires, mais bien des possibilités de croisements. L'une lit les textes, l'autre voit les pièces.
Christine Angot assiste à l'un des spectacles de la chorégraphe et danseuse Mathilde Monnier, L'Atelier en pièces, une pièce élaborée sur une musique de David Moss avec le comédien Matthias Jung. C'est l'évocation du destin d'un jeune autiste. Une pièce qui est saisissante. Christine Angot veut en connaître plus... et un an plus tard, en 1997, Arrêtez, arrêtons, arrête est la balise de la première collaboration de Mathilde Monnier et de l'écrivain de Normalement, titre du texte, publié ultérieurement et mis en scène en 2002 à la Colline par Michel Didym et elle-même, dirigeant Redjep Mitrovitsa.
Un chemin se fraie qu'elles empruntent de concert. Mais en prenant temps, distance. Mais elles n'ont jamais cessé de se parler. C'est de cet entretien qu'est née la pièce intitulée La Place du singe qui a été créée à Montpellier (voir, nos éditions du 4 juillet, la critique de René Sirvin). «Ce n'était pas formulé, mais il me semble que c'était clair en nous : un jour, nous allions retravailler ensemble», dit Christine Angot. «Et lorsque le festival m'a proposé la Cour d'honneur en me demandant de présenter un autre spectacle, j'ai aussitôt pensé que ce que nous pourrions faire ensemble, Christine et moi, aurait ici sa place», précise Mathilde Monnier.
Mais sur quel propos s'accorder ? Quel thème, et sous quelle forme ? «Tout cela s'est construit pas à pas, plus intuitivement que d'une manière raisonnée», commente la chorégraphe. «De tous nos sujets de conversation, l'un nous apparaissait inépuisable, et c'était la «bourgeoisie». Tout d'un coup, il me semble que nous étions intarissables aussi en ai-je conclu que ce devait être le propos central de ce que nous allions faire ensemble sur un plateau», précise l'écrivain. Bizarre, non ? Un peu sévère, le thème ! Mais n'allez pas leur demander s'il n'y a pas des questions plus importantes, plus pertinentes...
Ce qui est beau, dans cette aventure, c'est la complicité non fusionnelle de ces deux femmes. Elles sont demeurées très indépendantes. Presque jalouses de ce qu'elles ont à nous livrer, personnellement. Et c'est bien. Ce qui fait l'intérêt d'un tel dialogue, c'est la force, la résistance de chacune à l'autre. L'unisson n'est beau que parce qu'il y a de légères discordances et qu'elles ne contredisent en rien l'harmonie. Mathilde, comme Christine. L'une danse, l'autre pas. «Mais le texte m'agite» dit Angot. L'une parle, l'autre pas. «Mais je m'exprime» dit Monnier. «On s'écoute et on s'entend.»

Cloître des célestins, à 19 h du 23 au 27 juillet. Rés. : 04.90.14.14.14. Reprise à Genève, Toulouse, au Théâtre national de la Colline et à Givors entre septembre et décembre.

Armelle Héliot

Le figaro
21/07/2005