Mathide Monnier et Katerine, la danse des mots
Présentée au festival Montpellier Danse, « 2008 Valée » est une fantaisie dada qui réunit le chanteur Katerine et la chorégraphe Mathilde Monnier autour des chansons de « Robots après tout », le dernier album du dandy hétéro sensible. Interview croisée pour une rencontre un peu barrée.
« Qui est cet humain qui va à côté de moi ? » Cette phrase ouvre le spectacle. Katerine, voulez-vous bien vous prêter au jeu et nous parler de Mathilde Monnier ? J’ai découvert Mathilde avec son spectacle Déroutes au moment où je réalisais mon album Robots après tout. J’ai tout de suite eu envie d’écrire des chansons en imaginant qu’elle ferait la chorégraphie. Je voyais les danseurs chanter. En filigrane j’avais une idée de spectacle où le corps serait très sollicité. Mathilde est extrêmement souple au travail, elle est pleine d’attention et m’a mis tout de suite en confiance. D’une intelligence folle, elle laisse venir les choses en prenant en compte les idées de chacun. Au départ, je voulais danser, mais après les deux premières semaines, j’ai été refroidi. Elle m’a rassuré en me disant juste qu’il fallait que je danse pour moi et cela a fonctionné. L’avantage d’un novice c’est qu’il y a souvent chez lui quelque chose de gracieux. C’est le cas des danseurs et de Mathilde qui se sont mis au chant.
Mathilde Monnier, qui est Katerine ? Ce garçon est indéfinissable. C’est étrange. C’est un homme tiraillé entre deux extrêmes. Il est complètement dans la terre et en même temps totalement dans la lune, au sens où il possède une dimension hypnotique. Il y a une extrapolation du réel chez lui mais en même temps, une figure paysanne. J’adore comment il arrive à rejoindre dans son corps ces deux extrêmes. Il a une élégance brute dans la pensée. À mon avis, il aurait été anachronique à n’importe quelle époque. Il est hors du temps, c’est ce qui fait son charme. Katerine Je suis un contemplatif. Je peux passer cinq heures sur un banc à regarder ce qui se passe. Ensuite, ce que je constate peut être différent de ce qui se passe. Je m’abandonne à une sorte d’hypnose. C’est comme lorsque tu prends de la drogue, tu hallucines à partir d’éléments du réel. Ce spectacle a un côté épique qui est une glorification du collectif, le fait d’être en groupe nous permet de retrouver un apaisement à la fin.
Mathilde, quel effet cela vous fait-il d’être « l’ombre » de Katerine dans le spectacle ? J’aime bien me faire accaparer. Je suis comme un caméléon, je rentre dans l'univers de l’autre. Philippe [Katerine] me capture et cela me révèle quelque chose de moi-même. Être dans son ombre me permet de mieux me connaître et de me laisser aller à des fantaisies que je n’aurai pas laissées sortir. Philippe avait des idées pour le spectacle que je ne pouvais pas appliquer telles quelles. Il a fallu que j’intègre ses idées pour lui faire des propositions plus scéniques mais qui gardent l’essence de ce qu’il avait envie de faire.
Katerine, lorsque vous écrivez : « j’adore les administratrices, dessinatrices, les boulangers, les camionneurs… », est-ce un trip sexuel ? J’ai le fantasme de l’uniforme. Le camionneur me fascine parce que c’est un mec qui a notre taille mais qui transporte des choses énormes. Pour moi, c’est un dieu vivant, je lui lècherai facilement le visage. Tout comme pour les infirmières. Les chirurgiens, je n’en parle même pas, c’est extraordinaire de rentrer dans le corps ! Quand je suis sur scène, je suis la somme de toutes les professions que j’ai exercées ou sur lesquelles je fantasme.
Avez-vous réellement croisé Marine Le Pen un samedi à 16 heures devant la Maison de la Radio comme vous le racontez dans l’un de vos titres ? Absolument. Je l’ai suivie. Lorsqu’elle s’est retournée, j’ai flippé d’avoir eu presque envie d’elle de dos. Ça a été une claque monumentale qui m’a ramené à ma petitesse d’homme. Ce n’est pas glorieux comme histoire et les personnages ne sont pas glamour. Ça m’a soulagé de l’écrire. Mathilde Monnier Il m’est arrivé une chose assez similaire. Je l’ai croisée un jour dans un avion, j’étais assise derrière elle. Elle était entourée de son équipe et à un moment je me suis compte que c’était elle. J’ai demandé à l’hôtesse à changer de place.
Katerine dit : « J’en ai marre de moi, de mon nez, de mes couilles… ils me suivent partout. » Et vous Mathilde, de quoi avez-vous marre ? De la morale. Elle me suit partout. Les fantômes de mon éducation m’obsèdent.
Dans le spectacle, il y a cette discussion surréaliste sur les coiffures ? Katerine je suis amoureux des coiffures. D’ailleurs, mon disque a failli s’appeler Coiffure. L’un de nos premiers sujets de discussion avec Mathilde a été les coiffures et l’intérêt qu’on leur porte. Avant les gens passaient beaucoup de temps à se coiffer alors que l’idée de coiffure est balayé aujourd’hui : l’identité est ailleurs. Je peux observer les coiffures avec beaucoup de délectation pendant des heures.
Mathilde, pourquoi ne lâchez-vous jamais vos cheveux ? Je n’arrive à lâcher mes cheveux que lorsqu’ils sont très courts. D’ailleurs, je le fais à un moment très précis dans le spectacle. Sinon ça fait Marine Le Pen !
Katerine, seriez-vous plutôt Frères Jacques ou Daft Punk ? Le compromis me séduit plutôt. Je me sens bien avec les deux, je me suis nourri des deux. J’adore le music-hall et je n’envisage pas d’écrire des chansons sans penser aux Daft punk.
Et pour retarder l’éjaculation, fait-il vraiment penser à sa propre grand-mère ? Oui, ça marche ! Sinon, essayez la chaise dans la salle d’attente chez le docteur.
Dans quelle vallée serez-vous en 2008 ? J’ai toujours prévu ma mort pour 2008. Le dernier tableau du spectacle est celui de l’apaisement, du bonheur immobile mais peut-être est-ce la mort. Lorsqu’on a fait son testament, on a embrassé tout le monde, on a léché les visages, on a pensé aux chaises, on peut s’endormir tranquille. J’aimerai alors partir en serrant mon ange nu sur son cheval bleu qui m’emmène vers une béatitude.
Mathilde, iriez-vous faire un tour dans la vallée de Katerine ? J’adorerais !
Oscar HELIANI
Têtu
Juillet/Août 2006