Mathilde Monnier et Louis Sclavis renouent sur scène

La chorégraphe et le musicien, complices de longue date, répètent à Montpellier la création qu’ils présenteront au festival Jazz à la Villette le week-end prochain

Danser sans musique ? Pas impossible. Mais les deux disciplines sont intimes. Au point de s’interpénétrer chez Mathilde Monnier, la directrice du centre chorégraphique national (CCN) de Montpellier Languedoc-Roussillon, qui adore ces créations où la musique n’est pas un simple support pour les danseurs mais une partie du tout. Ce fut le cas avec le compositeur David Moss et le platiniste eriKm, avec le rock de P.J. Harvey qui occupait une place prépondérante dans Publique, avec le chanteur Philippe Katerine qui cosigna le génial 2008 vallée, ou encore en février  dernier avec Surrogate Cities, opéra de Heiner Goebbels dont la chorégraphie lui a été commandée par le Philharmonique de Berlin.
De ces collaborations, celle entretenue avec le clarinettiste et saxophoniste Louis Sclavis est la plus vieille histoire (A la renverse en 1989 puis Chinoiseries, Face Nord et Ainsi de suite) dont un nouveau chapitre s’écrit depuis une semaine à Montpellier, au CCN où les complices répètent Les signes extérieurs. La création est une commande du festival parisien Jazz à la Villette qui, depuis le début du mois de septembre, célèbre les liens entre le jazz et la danse (Anne Teresa de Keersmaeker et Archie Shepp, Boris Charmatz et Médéric Collignon, Josef Nadj et Akosh S.).
« Il y a un renouveau du rapport de la danse au jazz, qui se pratiquait souvent durant les années 60, 70 et même 80, avant que beaucoup choisissent de danser sur de la musique contemporaine ou pop », observe Mathilde Monnier.
Jazz ? « Le mot n’a pas vraiment de sens dans ce cadre », dit Sclavis qui s’échine à abattre les dernières barrières stylistiques restées debout. Avec Matthieu Metzger (saxophone) et Gilles Coronado (guitare électrique), donc sans section rythmique (« Je voulais quelque chose de déséquilibré »), il développe dans Les signes extérieurs une musique tendue de riffs rock, tout en participant à l’effort chorégraphique, selon un principe qui est désormais cher à Mathilde Monnier : la confusion des genres (ainsi Katerine  danse et les danseurs  chantent  dans 2008 vallée).
Avec Les signes extérieurs, la chorégraphe prolonge surtout un procédé expérimenté dans Surrogate Cities et Tempo 76 : sur le devant de la scène, des écrans (que le public ne voit pas) sont utilisés par les trois danseurs (soit Mathilde Monnier, I-Fang Lin et Loïc Touzé) comme des partitions. Ils y voient leur propre image ainsi que de extraits montés en boucle de films de Cassavetes, Godard ou Chaplin dont ils reproduisent les situations et les gestes. Un procédé ludique que le public est supposé ignorer, et qui l’intrigue : qu’est-ce que les danseurs regardent sur les téléviseurs (d’autres écrans minuscules se cachent sur scène, mais on n’en dira pas trop), sur quelles images leurs mouvements sont-ils calqués ? « Volontairement, les spectateurs n’ont pas accès à l’image, précise Mathilde Monnier. C’est la triangulation par les écrans qui m’intéresse. Ca met à distance la danse, la psychologie la théâtralité… » Il y a même une grande jubilation, pour le spectateur, à rechercher la trame d’un scénario qui n’existe pas. Même les musiciens obéissent parfois à un procédé inhabituel en l’occurrence des gestes de Louis Sclavis qui dictent leur évolutions… tout en guidant les danseurs. « A ce moment, on lit Sclavis, physiquement », dit la chorégraphe.
La création Les signes extérieurs devait être réservée au festival Jazz à la Villette, samedi 13 et dimanche 14 septembre. Mais les répétitions dégagent une telle force que de futures dates sont déjà envisagées. A ne pas rater.

Eric DELHAYE