Avec frère&sœur, Mathide Monnier déçoit
Décidément, les applaudissements ne franchiront pas le mur du son cet
été dans la Cour d'honneur du Palais des papes. Les huées en revanche
occupent passablement le terrain. Mercredi 20 juillet, la première de
la pièce de Mathilde Monnier Frère et soeur, d'une durée d'à peine une
heure, a plongé les spectateurs dans la perplexité. La déconvenue est à
la hauteur de l'attente que le thème inscrit dans le titre avait
suscitée.
Frère et soeur s'annonçait comme un raid sans
appel dans la chambre secrète de la passion originelle, une fouille au
corps des pulsions les plus ambiguës. De cette relation serrée et
conflictuelle, vibratile, entre deux êtres que tout peut rapprocher ou
éloigner à la seconde, le scénario ne pouvait que courir vers des
sommets spectaculaires.
Sur le plateau de la Cour d'honneur
intelligemment rythmé par trois scènes surélevées de taille différente
(la scénographie est signée comme toujours et avec soin par Annie
Tolleter), la saga des liens fraternels démarre à grands pas
impeccablement décidés : les quatorze interprètes, tous habillés en
veste bleue et pantalon gris, jaillissent d'une photo de fin d'année du
collège. Les costumes aux nuances de tons extrafines sortent des mains
de Dominique Fabrègue.
Les couleurs des sous-pulls explosent
en même temps que l'image un peu trop sage : une rixe emballe tout le
monde dans la bagarre. Coups de pied au cul, claques sur la gueule,
crêpage de chignon, la castagne affole la cour de récré pendant que les
vêtements résistent à la charpie. Cette introduction teigneuse comme
deux adolescents à cran achoppent malheureusement sur un deuxième
tableau (le spectacle en compte trois) dont le contenu s'effiloche.
Mathilde Monnier s'est-elle sentie trop proche d'un sujet qui risquait
de basculer dans le psycho-drame ? On connaît son peu de goût pour
l'illustration ou l'émotionnel qui feraient déraper la danse dans un
narratif premier degré. Ce refus amène certes quelques éclats
chorégraphiques brillants et inédits mais l'éloigne de son propos comme
si elle tournait autour, en cercles de plus en plus larges, sans foncer
dedans. Quant à l'utilisation de masques (de plus en plus utilisés dans
la danse contemporaine), de perruques (elles aussi très à la mode), les
costumes parfois à l'identique des danseurs (tous en chemise blanche),
ils flirtent avec les effets de surface.
EXUBÉRANCES SATURÉES
On s'interroge d'ailleurs sur les points communs que l'on rencontre
depuis quelque temps entre certains spectacles dont l'habillage au sens
large semble puiser aux mêmes fantasmes. Pour ne citer que la pièce de
Christian Rizzo, à l'affiche du Festival d'Avignon, Soit le puits était
profond..., elle aussi sur le thème de l'altérité - et elle aussi
contestée par le public -, elle se conclut elle aussi avec des
interprètes en perruque noire et chemise blanche. La mode
chorégraphique s'approvisionne chez les mêmes fournisseurs. La musique
aussi, avec notamment la résurgence de batterie et de guitares
électriques, dont les exubérances saturées réclament à grands bruits
des sensations extrêmes.
Pour soutenir son incursion au coeur
de Frère et soeur, Mathilde Monnier, secondée par le poète et
scénariste Stéphane Bouquet, a élu l'écrivain américaine Kathy Acker
(1947-1997). L'inscription dans le déroulé du spectacle d'extraits de
son roman Les Grandes Espérances ne concourt pas à densifier un propos
dont l'action et la bande-son fonctionnent en parallèle. Histoires de
désir mal adressé, de difficultés à vivre, de désastres sexuels et
amoureux, les extraits de Kathy Acker tombent comme des cheveux sur la
soupe avec une crudité qui les plombe. On se souvient pourtant des
lectures brûlantes que l'écrivain punk au beau visage tuméfié et à la
générosité immédiate donnait au début des années 1980 à Londres et à la
librairie du Village Voice à Paris. Ses accès de rage subversive,
transpercés par une fièvre sexuelle jamais éteinte, dissimulaient une
ferveur inquiète, un désir d'appréhender l'absurdité du monde qui en
nimbaient l'apparente raideur.
Pour son premier passage dans
la Cour d'honneur du Palais des papes, Mathilde Monnier, directrice du
Centre chorégraphique national de Montpellier depuis 1994, a conservé
le cap qu'elle assigne à son travail depuis plus de dix ans. Elle n'a
pas cherché à déporter ses obsessions pour s'accorder à la magnificence
de ce haut lieu d'Avignon. On ne saurait que saluer cet ajustement au
plus près de soi. Mais cette nouvelle enquête sur le groupe, menée par
celle qui polit sans fin son goût des autres, opte pour une sobriété
qui finit par manquer de substance. La musique d'Erikm a beau pousser
des barrissements, sonner comme pour une chasse à courre, en griffant
les tympans de traces sonores dissonantes, les danseurs se jeter dans
des rafales de gestes secs, Frère et soeur ne lève aucun mystère sur ce
lien fraternel d'une terrible douceur.
Frère et soeur,
de Mathilde Monnier. Cour d'honneur du Palais des papes, Avignon, le 19
juillet. Jusqu'au 27 juillet. 22 heures. De 12 € à 33 €.
Certains
livres de Kathy Acker sont disponibles en français aux éditions
Désordres/Laurence Viallet, et en anglais aux éditions Dis voir.
Rosita Boisseau
Le Monde
22/07/2005