de mathilde monnier
réécriture de pour antigone (1993)
création festival montpellier danse 2014
“Nous ne sommes que les interprètes des interprétations” écrivait Montaigne. Jusqu’où une pièce chorégraphique peut-elle prétendre à sa propre interprétation ? Telle est la question de ce projet de réécriture.
Pour Antigone aura une vingtaine d’années en juin 2014, cette pièce et sa démarche représentent un moment fondamental dans mon travail. Elle a été une première porte ouverte sur les actions que j'ai menées en direction de la danse en Afrique mais aussi à l’occasion de mes collaborations artistiques ainsi que pour la politique du CCN à Montpellier.
Cette chorégraphie créée à l'origine en mars 1993 au Quartz de Brest a été le déclencheur de beaucoup de combats et d’idées que j’ai développés par la suite.
Cette pièce avait à l’époque suscité un certain questionnement dans le milieu de la danse et c'était bien là son but car elle se positionnait à l'encontre des courants, en plein développement alors, de métissage artistique. Pour Antigone tentait de défendre la naissance d'une danse africaine contemporaine qui ne se laissait pas récupérer et qui ne voulait pas s'identifier au métissage. Utopie ou tentative naïve d'une jeune chorégraphe qui cherchait à résoudre une partie de sa propre histoire avec son passé et l'Afrique !
Aujourd’hui, je souhaite réécrire “une autre Antigone”, qui porte la trace et la mémoire de cette première pièce mais qui se ressaisit d’une autre manière des enjeux qui la constituent. L’histoire d’Antigone est celle des imbrications étroites entre la sphère de l’intime et celle du public, de l’existence privée et de l’histoire.
Au-delà même du propos féminin, l’histoire d’Antigone est avant tout celle d’un geste, d’un acte simple, celui de venir recouvrir la dépouille de son frère mort d’un peu de terre. Ce geste vient provoquer le pouvoir et faire basculer les rapports d’autorité. Aujourd’hui, des Antigones contemporaines continuent à se révolter, que ce soit les femmes pakistanaises et indiennes qui manifestent contre le viol, les Femen russes ou tunisiennes qui affichent leurs corps pour défendre une liberté de parole. À travers elles et tant d’autres, les combats d’Antigone continuent de vivre.
Dans l’histoire d’une pièce et de son remontage se crée souvent une dialectique de destruction et de reconstruction. À travers ce projet, je souhaite donner une autre vie à cette pièce. Il s’agit pour moi de conserver des potentialités et des fondements, tout en m’autorisant des détournements, voire des trahisons, afin d’en proposer une traduction contemporaine, liée au contexte présent.
Une des hypothèses de travail de cette réécriture repose sur la façon dont je vais repenser le rôle des danseurs. Ce qui était en jeu en 1993, à savoir un casting qui prenait en compte l’origine des danseurs, n’est plus valide aujourd’hui. C’est en cassant cette dualité entre danseurs africains et danseurs occidentaux que je pourrai aller vers une traduction contemporaine de cette “autre Antigone”.
Dans le vocabulaire de Pour Antigone, deux langages se faisaient face, d’une part une danse traditionnelle africaine, de l’autre une danse dite contemporaine. Sans hiérarchiser aucune de ces deux techniques, il s’agit de créer de nouvelles superpositions d’interprétation, une autre sédimentation de mouvement.
Depuis 20 ans j’observe que, d’un coté la circulation des gestes, de l’autre la vulgarisation des techniques de corps a modifié de manière décisive le profil des danseurs, une sorte de mondialisation du geste est à la portée de celui qui veut y avoir accès. La dispersion des gestes chorégraphiques et leur transformation permanente, la réappropriation des techniques, permettent aux danseurs d’enrichir leurs langages corporels.
Partant de cette nouvelle géographie des gestes, je souhaite travailler à partir d’un double écart, écart de temps dans la trace d’une pièce qui a 20 ans (que reste-t-il de cette Antigone ?), et écart géographique en se ressaisissant de la danse traditionnelle comme d’un matériau de base de travail au même titre que celui de la danse contemporaine. En effet, comment une danseuse coréenne peut-elle reprendre la partition d’une danseuse traditionnelle burkinabée ? Ce dialogue et cette combinaison pourra se faire à travers la confrontation des techniques de corps et de réappropriation et non à travers une stigmatisation des origines.
Cette réécriture a l’audace de faire signe du chemin parcouru lors des deux dernières décennies et de confronter une écriture et une dramaturgie classique à un nouveau champ esthétique et politique.
mathilde monnier . septembre 2013
chorégraphie mathilde monnier
danse (distribution en cours) nadia beugré, jung-ae kim, i-fang lin, felix mathias ott, ana pi, ousseni sako
musique live yuko oshima
scénographie annie tolleter
création lumière éric wurtz
création sonore olivier renouf
costumes laurence alquier
coproduction réécriture 2014 (en cours) festival montpellier danse 2014 . l'opéra de lille . centre chorégraphique national de montpellier languedoc-roussillon
coproduction 1993 centre dramatique chorégraphique le quartz de brest . compagnie de hexe . MPM international . festival montpellier danse 1993 . TNDI châteauvallon . théâtre de la ville - paris . le carré saint vincent - orléans