Chorégraphe Mathilde Monnier
Avec 6 interprètes Sophie Demeyer, Lucia Garcia Pulles, Lisanne Goodhue, I-Fang-Lin, Carolina Passos Sousa, Florencia Vecino
Scénographe Jocelyn Cottencin
Dramaturge Stéphane Bouquet
Costumes Laurence Alquier
Créateur lumière Eric Wurst
Créateur sonore Olivier Renouf
Construction décor Atelier Martine Andrée
Musiques Luigi Nono et The Comet is Coming
Une production OTTO PRODUCTIONS / THEATRE GARONNE
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre du programme New Settings.
En coproduction avec Compagnie MM, Chaillot-Théâtre National de la Danse, Centre Dramatique National de Valence, MA scène nationale - Pays de Montbéliard, Centre neuchâtelois des arts vivants & ADN - Danse Neuchâtel, CN D Centre national de la danse et le Centre national de Danse Contemporain d'Angers.
Records une chorégraphie entre mur et ciel, entre ouvert et fermé
Records est une traversée par le geste et par les voix des états de corps pris dans cette période récente de la pandémie. Une expérience pour se souvenir, pour enregistrer les émotions uniques auxquelles nous avons été confrontées
Les premiers gestes de cette création ont émergé en mai 2020 à la sortie du premier confinement. Nécessité, survie, besoin de faire face au vide et au manque que nous venions de vivre.
La crise sanitaire nous a plongé dans une situation paradoxale, nous étions à la fois gavés de paroles d’experts en tout genre, de prédictions sur l’après, d’un afflux d’images sur les réseaux sociaux, de visioconférences et en même temps démunis d’expérience réelle, détachés les uns des autres et immobiles. Paul Virilio appelle cela la culture du trop-plein, nous exilant de nous-mêmes et des autres.
Face à cette situation, traiter de l’abstraction et de l’écriture musicale m’est apparu comme une réponse possible. Partir à la recherche d’un espace vide de discours mais non pas dépourvu de corps, de perceptions, de sensations ni même de voix. J’ai alors entrepris l’écriture d’une petite pièce de 8’, à l’écoute d’un extrait de l’opéra Le Grand Macabre de Ligeti, interprétée par la soprano Barbara Hannigan.
C’est de cette expérience qu’est né Records. Six danseuses dans un espace blanc, presque nu, limité seulement par un mur. Dans Records le mur est important. Il est une figure d’appui réel mais aussi une figure mentale – une façon de figurer ce qui nous tient et nous retient … un espace entre mur et ciel à travers un film qui rythme le temps. Les danseuses longent, jouent, s’appuient, plus ou moins intensément, contre ce mur planté sur la scène et qui crée un espace dans l’espace, un sas entre l’ouvert et le fermé.
Chaque danseuse – à travers son corps, sa personnalité, son intensité – organise ainsi la perception de l’espace et invente à l’intérieur son mouvement individuel, à la fois simple et singulier. Je me souviens à ce propos des mots du peintre Kandinsky en 1912 : « Un mouvement simple, le plus simple, le plus simple qu’on puisse imaginer, et dont le but n’est pas connu, agit déjà par lui-même, il prend une importance mystérieuse, solennelle. Le mouvement simple que rien d’extérieur ne paraît motiver cache un trésor immense de possibilités. »
Dans Records les danseuses font de l’espace une expérience individuelle. Ce qui ce que cherche ici c’est une autre façon de faire communauté ou en-commun en se réinventant un nouveau lien au monde. En cela, la voix de Barbara Hannigan est restée l’un des guides de cette pièce. C’est elle, en effet, qui donne en quelque sorte le la de l’union – à travers un morceau de Luigi Nono. Mises en mouvement par cette voix, et à mesure de leur invention de l’espace, les danseuses trouvent des liens, inventent des rapports, créent des rythmes communs, et produisent elles-mêmes des sons pour reprendre un dialogue et créer zones de contact.
Cette période a été difficile à vivre car au delà de l’arrêt des activités, c’est la confrontation à un moment de grande incertitude qui a été compliquée, comme si rien de ce que nous avions construit pouvait encore tenir. Une forme d'instabilité générale où tous nos points de repères ont basculé ; la santé, le lien aux autres, le travail, les projets. Cette crise est comme une atteinte à ce qui pour nous est fondamental mais sans capacité de métabolisation, sans aucune prise possible sur le réel, l’assignation à résidence pourtant nécessaire m’a mise dans une position de retrait. Cela a changé le rapport au travail et ce qui semblait urgent est devenu sérieux, plus grave peut être. Ma première réaction dans le travail au bout de deux mois sans rien faire a été de me débarrasser de ce que j’appelle les commentaires du travail, l’ornementation et le superflu. Cela va se traduire dans cette création.
En quoi l’objet vinyle vous permet-il de réfléchir à la dynamique abstraction-incarnation ?
La question de l'abstraction dans la danse a toujours été une problématique qui m’a intéressée car sur le fond rien n'est moins abstrait qu’un corps qui danse. Et c’est vrai que les plus belles expériences que j’ai vécues en tant que spectatrice, celles qui sont restées dans ma mémoire, sont plutôt des expériences de danse sans autre objet que le corps lui même dans un rapport au son ou à la musique ou à l’espace; quand à l’incarnation le mot est lié à la chair, on dit "to embody "en anglais, la définition exacte de ce mot signifie représenter en soi-même une chose abstraite; on voit bien que les deux mots sont liés. L’objet Vinyle va jouer comme un fond, est ce que ce sera un fond pour l'imaginaire ou pour le réel ? C’est encore trop tôt pour le dire.
Records semble être une recherche mémorielle du mouvement.
Est-ce un projet plus intime, plus personnel ?
Tout est toujours mémoire et fabrication de la mémoire que ce soit la sienne ou celle des autres. Mais il est aussi vrai que rien n'est plus inscrit dans la vie intime que les musiques qui vous ont habités dans votre jeunesse et dans les moments difficiles. Je crois que chacun se constitue un panthéon de musiques et celui ci se construit au fur et à mesure des rencontres. Cette relation à la musique est une chose très intime que l’on ne veut pas toujours partager, cette fois j’aimerais la partager avec le public.
Propos recueillis par Pauline Lattaque, juin 2020