création en 2001 à impulstanz wien
des mémoires, des désirs
Les deux pièces Signé et Signés, deux volets disposés en diptyque, se suivent-elles ? S’ignorent-elles ? Se complètent-elles ? Se contredisent-elles ? Qu’importe. Le vrai lien qui les unit est le moment qui les voit naître en s’enchaînant. Entre été 2000 et hiver 2001.
Ces six mois se sont ouverts sur le Potlatch, par lequel Mathilde Monnier offrit son Centre chorégraphique des Ursulines (Montpellier) à un tourbillon d’échange des disciplines, d’expérimentations et de libre accès des publics. Ce bouleversement se poursuit par l’annonce de l’ouverture durable de ce Centre à d’autres équipes, tandis qu’elle renonce personnellement à la direction d’une compagnie permanente. Comme on se défait d’une attache, c’est une rupture dans le paysage institutionnalisé de la danse française.
Au cours de ce même été 2000, Mathilde Monnier accepte la commande d’une pièce. Cela constitue chez elle une première. À la demande du festival Tanz2000 de Vienne (Autriche), elle compose Signé, poème chorégraphique en hommage au chorégraphe américain Merce Cunningham. Et c’est ainsi une autre première, que de la voir se retourner explicitement vers l’histoire de la danse ; vers le passé. Sa propre histoire. Au singulier.
Si Mathilde Monnier a reçu l’essentiel de sa formation de Viola Farber, éminente cunninghamienne de la première heure, si elle vécut son année 1984 en qualité de boursière dans le studio new-yorkais du maître de la post-modern dance, ses premières pièces (Extasis et Pudique acide) s’empressèrent de tourner insolemment le dos à cet enseignement. Quinze ans plus tard, quoique brève et enlevée, Signé semble la pièce d’une confrontation impossible : ni édification d’un hommage, ni transcription d’un héritage.
Constamment évolutive depuis sa création, cette chorégraphie a voulu " retenir certaines sources du travail de Merce Cunningham, la fragmentation des corps et de l’espace, l’autonomie des mouvements et des intentions, l’invention de l’utilisation du dos dans la danse." Mais, qui chercherait, dans Signé, des citations explicites d’un modèle, devra se résoudre à une lecture guère académique de cette danse, revue au prisme de ses origines encore brutes, peu codifiées, des années 50 et 60 ; et ici traversée par des personnalités de danseurs contemporains extrêmement affirmées. Enfin, semblant atteinte par l’irréductible part agressive de la modernité. Cela jusque dans le traitement sonore et visuel de la référence poétique aux oiseaux, très présente dans l’œuvre de Cunningham et de John Cage.
Avec Signés, second volet du diptyque, Mathilde Monnier passe au pluriel, pour affronter une question plus collective et souterraine de la danse. Audacieusement, quoique non sans fantaisie, elle bouscule bien des pudeurs, pour traquer ce moment de l’histoire de chaque danseur, qui aurait trait à sa sexualité ; moment qui se rejoue à chaque entrée en scène, où le corps s’expose, en deçà du stade de la représentation.
Toute une histoire de la danse savante, particulièrement occidentale, ne peut se concevoir qu’à travers un processus de métaphorisation, et de mise à distance, de la question du désir ; ce qui n’est pas, ou ne devrait pas être, exactement synonyme d’occultation ou de censure. Surexposé devant une bande de latex extensible, sonorisé de l’intérieur même de son champ énergétique, interrogé par le regard incisif d’une caméra, Signés froisse les marges où les impulsions du mouvement dansé risqueraient de tutoyer les pulsions, les forces d’attraction frayer avec les attirances, et les touchers avec les caresses. Toutes réminiscences nourries du regard du spectateur voyeur.
Au singulier comme au pluriel, au jour assumé de la mémoire savante comme à l’ombre plus trouble des transactions avec le désir, embrassant l’histoire du dehors comme elle aborde aux histoires du dedans, Mathilde Monnier tisse sa recherche d’une pensée en actes, en gestes, en mouvements. Mais jamais autant que dans Signé, signés, elle n’avait resserré ces faisceaux de contradictions dynamiques sur le champ strict de la danse en tant qu’art. Cette double pièce la traverse dans ses fondements les plus inconscients, autant que dans ses formes les plus élaborées, de la mémoire du désir jusqu’à l’histoire de l’écriture. D’où un élan transversal extrêmement tonique, et sans trop de demi-mesure, au rendez-vous d’un tournant dans une démarche d’auteur.
gérard mayen . février 2001
chorégraphie mathilde monnier
musique erikm
vidéaste karim zeriahen
scénographie annie tolleter
lumière éric wurtz
assistant à la chorégraphie de signé herman diephuis
costumes participation de laurence alquier
interprètes dimitri chamblas / bertrand davy / herman diephuis / rémy héritier / joel luecht / i-fang lin
coproduction centre chorégraphique national de montpellier languedoc-roussillon / tanz2000.at & internationale tanzwochen wien / théâtre de la ville . paris